Immobilier : La prime d’ancienneté est-elle due en cas d’absence non rémunérée ?

La Convention collective nationale de l’Immobilier du 5 juillet 1956 (IDCC 1527) prévoit en son article 36 que « pour tenir compte de l’expérience acquise dans l’entreprise, le salaire global brut mensuel contractuel défini à l’article 37.3.1 est majoré de 30 euros tous les 3 ans, au 1er janvier suivant la date d’anniversaire ».

Cette majoration est-elle applicable en cas de suspension du contrat de travail ? Eléments de réponse…

A l’instar de nombreuses conventions collectives, la CCN de l’Immobilier prévoit en son article 36 le bénéfice d’une prime d’ancienneté pour tous les salariés relevant de son champ d’application, dont l’objectif est de les fidéliser en leur garantissant une progression salariale.

Cette prime prend la forme d’une majoration du salaire global brut mensuel d’un montant actuellement fixé à 30 euros tous les 3 ans au 1er janvier suivant la date d’anniversaire de l’entrée du salarié dans l’entreprise.

A l’occasion de contentieux prud’homaux, il n’est pas rare que le salarié ou ancien salarié sollicite un rappel de prime d’ancienneté au titre des périodes de suspension du contrat de travail. L’argument est systématiquement le même : puisque la convention collective ne subordonne pas expressément le bénéfice de la prime d’ancienneté à la présence effective du salarié à son poste de travail, il devrait pouvoir en bénéficier, y compris lorsque son contrat est suspendu, par exemple en raison d’un arrêt maladie de longue durée.

Il est vrai que la CCN de l’immobilier est silencieuse sur ce point alors que d’autres éléments conventionnels de rémunération, comme la prime de 13ème mois, sont expressément subordonnés à la présence effective du salarié. L’article 38 de la CCN précise ainsi que le calcul du 13ème mois est proratisé « selon le nombre de mois de présence pendant l’exercice considéré en cas d’entrée ou de sortie en cours d’année ou de suspension du contrat de travail ».

Cela signifie-t-il pour autant que la prime d’ancienneté doit nécessairement bénéficier aux salariés dont le contrat de travail est suspendu ?

Si certaines décisions de Cour d’appel vont dans ce sens , une réponse nuancée s’impose.

En effet, une analyse littérale du texte enseigne que la prime d’ancienneté s’entend dans la CCN de l’Immobilier comme une majoration de salaire. L’article 37-3.1 précise qu’il s’agit du « salaire réel perçu par le salarié ».

Par définition, cela devrait impliquer que la prime d’ancienneté n’est exigible que si le salarié perçoit effectivement un salaire sur le mois concerné. Un salarié en absence non rémunérée ne devrait donc pas être éligible au versement de cette prime.

Un lien peut être opéré ici avec une décision rendue par la Cour de cassation au sujet de la prime d’ancienneté prévue par la CCN de la Métallurgie région parisienne (Cass. Soc., 6 décembre 2017, n°16-17.137). Il s’agit d’une prime qui, à l’instar de celle de la CCN de l’Immobilier, s’ajoute au salaire réel du salarié et dont le pourcentage augmente en fonction de l’ancienneté.

Pour prétendre au versement de cette prime, y compris pendant des périodes d’absence, le salarié faisait valoir que la CCN ne prévoit pas que la prime puisse être déduite voire supprimée en cas d’absence du salarié. Cet argument n’a pas été suivi par la Cour de cassation qui a notamment constaté que la prime s’ajoutait au salaire réel de l’intéressé et que n’ayant pas perçu de rémunération sur l’année litigieuse, le salarié n’était pas éligible au versement de la prime d’ancienneté.

Très récemment, la Cour d’appel de Paris a appliqué une solution identique concernant la prime d’ancienneté prévue par la CCN des entreprises de prévention et sécurité (CA Paris, Pôle 6. Ch.4., 14 décembre 2022, n°20/03822.). Là encore, la CCN prévoit en son article 9.03 le bénéfice d’une prime qui « s’ajoute au salaire réel de l’intéressé » sans évoquer son sort en cas de suspension du contrat de travail.

Pour autant, faisant preuve d’un bon sens qui mérite d’être salué la Cour a relevé «  qu’il n’y a pas d’ajout possible à un salaire qui n’est pas dû. Dès lors, la prime d’ancienneté n’est due qu’autant qu’est dû le salaire lui-même, auquel elle « s’ajoute » et dont elle n’est qu’une composante […] L’interprétation littérale du texte exclut qu’en l’absence d’obligation pour l’employeur de servir un salaire de base, la prime litigieuse soit due ».

Ces solutions pourraient parfaitement être appliquées à la prime d’ancienneté de la CCN de l’Immobilier. Ce d’autant plus que d’autres décisions rendues par les Juges du fond sur l’application de la CCN de l’Immobilier vont également dans le même sens.

Notamment, la Cour d’appel de Versailles a rendu en 2021 une décision intéressante dans laquelle elle confirme que la prime d’ancienneté n’est pas conditionnée à la présence effective du salarié au moment de son versement mais qu’elle « l’est à l’obligation de paiement du salaire, puisqu’il s’agit d’une majoration de ce dernier » (CA Versailles., 21ème Ch., 10 juin 2021, n°19/02602) :

« S’il ressort de la lecture de ces dispositions que la prime d’ancienneté, n’est pas conditionnée à la présence effective du salarié au moment de son versement, ce qui reviendrait à ajouter une condition non prévue par le texte conventionnel précité, défavorable à la salariée, en revanche, elle l’est à l’obligation de paiement du salaire puisqu’il s’agit d’une majoration de ce dernier.

Il suit de ce qui précède que X ne pouvait prétendre au paiement du maintien de salaire pour le mois de décembre 2016 et que l’obligation de paiement du salaire était suspendue par l’effet de l’avis d’inaptitude. En l’absence d’obligation de l’employeur au paiement du salaire ou d’un maintien de salaire en décembre, la salariée n’est pas fondée à réclamer la prime d’ancienneté, définie comme une majoration de ce salaire. C’est donc à bon droit et par de justes motifs que les premiers juges ont écarté cette réclamation. Le jugement sera confirmé de ce chef »

Autrement dit, ce qui est important ce n’est pas d’être présent dans l’entreprise, mais de percevoir effectivement une rémunération. Si l’absence du salarié ne donne pas lieu à un maintien de salaire, il ne sera pas éligible au versement de la prime d’ancienneté qui s’entend comme une majoration de ce salaire.

En cas d’absence injustifiée ou de congé sans solde cette solution ne pose pas de difficulté d’application. En revanche, on rappellera que la CCN de l’Immobilier prévoit un maintien de salaire en cas d’arrêt de travail dont la durée va de 30 à 190 jours en fonction de l’ancienneté du salarié.

A suivre le raisonnement de la Cour d’appel de Versailles, ce n’est donc qu’à l’expiration de la période de maintien de salaire que l’entreprise serait en droit de suspendre le versement de la prime d’ancienneté.

 

Cet article a fait l’objet d’une publication sur le site village-justice.