Les représentants de l’employeur aux élections professionnelles

Elections professionnelles

Sur la base d’une QPC, le Conseil de constitutionnel vient de juger que l’exclusion du corps électoral des salariés disposant d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant d’être assimilés au chef d’entreprise, ou qui représentent effectivement ce dernier devant les institutions représentatives du personnel, est contraire au principe de participation issu du préambule de la Constitution de 1946.

Épilogue d’un contentieux né dans le Jura, la décision n°2021-947 QPC du 19 novembre 2021 ne manque pas de rappeler que la Question Prioritaire de constitutionnalité constitue un moyen de déconstruire une jurisprudence pourtant bien établie.

A l’occasion de la mise en place du comité social et économique (CSE) au sein de la société Carrefour supermarché France, le Syndicat CGT avait saisi le Tribunal d’instance de Bourg-en-Bresse le 9 décembre 2019 aux fins d’annulation des élections professionnelles dans le collège cadre au motif que les directeurs de magasins avaient été inscrits en qualité d’électeurs à l’occasion de ces élections.

Conformément à une jurisprudence constante de la Cour de cassation ces salariés n’auraient a priori pas dû figurer sur les listes électorales[1]. En effet, la Haute juridiction considère, au visa des articles L. 2314-18 et L. 2314-19 du Code du travail, que « ne peuvent ni exercer un mandat de représentation du personnel ni être électeurs les salariés qui, soit disposent d’une délégation écrite particulière d’autorité leur permettant d’être assimilés au chef d’entreprise, soit représentent effectivement l’employeur devant les institutions représentatives du personnel », cette solution ayant été encore rappelée très récemment dans un arrêt du 31 mars 2021[2].

Face à cela, les options envisageables pour le syndicat national de l’encadrement du groupe carrefour (SNEC) CFE-CGC qui défendait l’inscription des salariés concernés sur les listes électorales, étaient de fait très limitées :

  • convaincre les juges du fond qu’en raison des pouvoirs et prérogatives exercés par ces salariés, ils ne pouvaient être assimilés à l’employeur ou comme représentant ce dernier. S’agissant de directeurs de magasin (probablement titulaire d’une délégation de pouvoir et assurant la représentation de l’employeur au CSE), il est probable que l’exercice aurait été périlleux ;
  • demander aux juges du fond de « résister » à la jurisprudence de la Cour de cassation et de juger que ces salariés ne pouvaient être privés de leur droits de voter, indépendamment de la question de leur éligibilité. S’agissant d’une jurisprudence réitérée encore en début d’année, difficile d’imaginer que les premiers juges auraient accordé un quelconque crédit à ce moyen.
  • combattre l’interprétation de la Cour de cassation de l’article L. 2314-18 du Code du travail (posant les critères d’éligibilité) sur la base de la violation d’un principe à valeur constitutionnelle au moyen d’un instrument juridique prévu à cet effet : la QPC.

Ainsi, après quelques vicissitudes procédurales, le syndicat SNEC CFE-CGC a sollicité la transmission d’une QPC à la Cour de cassation, ce qu’il lui a été accordé par jugement du 17 juin 2021.

L’affaire était loin d’être conclue puisque la QPC devait passer le « filtre » de la Cour de cassation avant d’atterrir sur le bureau des sages de la rue de Montpensier.

La question était rédigée en ces termes : « La disposition de l’article L. 2314-18 du code du travail telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour de cassation, en privant certains travailleurs de la qualité d’électeur aux élections professionnelles, et en n’encadrant pas mieux les conditions de cette exclusion et en ne les distinguant pas des conditions pour n’être pas éligibles, ne méconnaît-elle pas le principe de participation des travailleurs par l’intermédiaire de leurs délégués à la détermination des conditions de travail à la gestion des entreprises défini au point 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ? ».

Le 15 septembre 2021[3], la Cour de cassation a néanmoins décidé de renvoyer la QPC devant le Conseil constitutionnel après avoir constaté que la disposition contestée était applicable au litige, qu’elle n’avait pas déjà été déclarée conforme à la constitution, et estimé que la question présentait un caractère sérieux.

Réunis pour étudier la question le 19 novembre 2021, les 9 sages ont été convaincus par l’argumentaire du syndicat SNEC CFE-CGC qui faisait valoir que les salariés susceptibles d’être assimilés à l’employeur étaient privés de la qualité d’électeur aux élections professionnelles, et de toute représentation au CSE. Ces derniers ont déclaré l’article L. 2314-18 du Code du travail, dans sa rédaction de l’ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 et tel qu’interprété par la Cour de cassation, contraire à la constitution.

La formule est simple, comme une évidence : « […] en privant des salariés de toute possibilité de participer en qualité d’électeur à l’élection du comité social et économique, au seul motif qu’ils disposent d’une telle délégation ou d’un tel pouvoir de représentation, ces dispositions portent une atteinte manifestement disproportionnée au principe de participation des travailleurs [ayant valeur constitutionnelle] ».

Sans nul doute, le fait de priver automatiquement les salariés représentant ou assimilés à l’employeur du droit de voter et surtout de lier la question de l’inéligibilité de ces salariés avec leur qualité d’électeur posait question.  La décision du Conseil constitutionnel n’opérant aucune nuance, il est possible d’en déduire que tous ces salariés sans distinction auront désormais le droit de voter aux élections professionnelles.

Par ailleurs, les effets de cette inconstitutionnalité ne sont pas neutres : en principe l’abrogation de l’article L. 2314-18 du Code du travail aurait dû intervenir à la date de publication de la décision du Conseil constitutionnel ce qui aurait eu pour conséquence de supprimer toute condition pour être électeur aux élections professionnelles, et par suite d’affecter l’ensemble des instances et processus électoraux en cours.

Dans ces conditions, il a été décidé de différer cette abrogation au 31 octobre 2022, de quoi laisser le temps au législateur d’intervenir pour sécuriser ces dispositions. Plus important, il est précisé que « Les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées inconstitutionnelles ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité ».

En conséquence, les entreprises devant organiser leurs élections pour le renouvellement ou la mise en place du CSE dans les semaines à venir pourront continuer à faire application de la jurisprudence relative à l’exclusion du corps électoral des salariés assimilés à l’employeur ou représentant ce dernier devant les instances représentatives du personnel.

Les listes électorales établies avant le 31 octobre 2022 et les élections afférentes seront a priori sécurisées.
A l’inverse, les employeurs devront être vigilants concernant les processus qui se dérouleront « à cheval » par rapport à cette date d’effet ou postérieurement, et tenir compte des évolutions à venir. Une veille sur le sujet est donc incontournable.

[1] Cass. soc., 6 mars 2001, n°99-60.553, n° 868 FS – P + B + R + I Cass. soc., 6 févr. 2002, n°00-60.488, n°553 FS – P ; Cass. soc., 28 sept. 2017, n°16-15.807.
[2] Cass. soc., 31 mars 2021, n°19-25.233, n° 410 F – P
[3] Cass. soc., 15 sept. 2021, n°21-40.013