L’indemnité d’éviction d’un salarié protégé

Dans un arrêt du 1er décembre 2021, la Cour de cassation a abandonné sa jurisprudence qui interdisait à un salarié de réclamer le paiement de ses droits à congés payés au titre de la période d’éviction comprise entre la date de son licenciement et celle de sa réintégration. Cette décision illustre une fois de plus l’impact de la jurisprudence européenne sur l’évolution du droit français, en particulier sur la question du droit aux congés payés.

Les faits

Un consultant d’une société de conseil en entreprise avait fait l’objet d’un licenciement pour insuffisance professionnelle en 2012 alors que son contrat était toujours suspendu à la suite d’une courte absence suite à un accident du travail en 2010. En effet, l’employeur n’avait jamais organisé la visite de reprise avec le médecin du travail mettant fin à la suspension du contrat de travail. De ce fait, ce salarié bénéficiait toujours de la protection attachée à son absence maladie d’origine professionnelle au moment de son licenciement, soit plus de 2 ans après avoir repris son travail. Il avait donc saisi la juridiction prud’homale pour faire annuler son licenciement et sollicité le paiement d’une rémunération pour les mois écoulés entre son éviction et sa réintégration, assortie des congés payés.

La Cour d’appel de Paris avait confirmé la nullité du licenciement mais débouté partiellement le salarié de ses demandes au motif que la période d’éviction n’ouvrait pas droit à acquisition de jours de congés payés.

Ne souhaitant pas s’en arrêter là, les parties ont alors saisi la Cour de cassation.

Un revirement provoqué

Aux termes d’une motivation « enrichie », la Cour de cassation a d’abord rappelé la protection dont bénéficie un salarié au cours d’une période de suspension du contrat de travail et la sanction prévue en cas de violation, en l’occurrence la nullité du licenciement (Articles L. 1226-9 et L. 1226-13 du code du travail).

Dans cette hypothèse, le salarié peut solliciter soit l’indemnisation de son préjudice, soit sa réintégration dans l’entreprise. Ce second choix lui ouvre droit à une indemnité d’éviction correspondant aux salaires dont il a été privé entre son licenciement et sa réintégration.

Toutefois, la jurisprudence de la chambre sociale excluait qu’il puisse réclamer également les congés payés afférents à cette indemnité (Cass. soc., 11 mai 2017, n° 15-19.731 ; Cass. soc., 30 janvier 2019, n° 16-25.672 ; Cass. soc., 28 novembre 2018, pon° 17-19.004), une position en contradiction avec le droit européen, en particulier avec l’article 7, § 1, de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 25 juin 2020.

Selon les juges européens, les droits au congé annuel payé doivent en principe être déterminés en fonction des périodes de travail effectif accomplies en vertu du contrat de travail, au regard de leur finalité (attribuer du repos). Néanmoins, certaines exceptions doivent être admises lorsque la personne est incapable de remplir ses fonctions pour des raisons imprévisibles et indépendantes de sa volonté.

Tel est le cas en particulier de :

  • l’absence maladie ;
  • du salarié licencié de façon illégale.

Le salarié évincé est donc en principe fondé à réclamer ses droits à congés payés au titre de la période d’éviction. Seule exception : lorsque le l’intéressé a occupé un autre emploi au cours de cette période (puisqu’il a déjà bénéficié de congés payés au titre de cet emploi).

La Cour de cassation s’aligne avec cette position en ces termes :

« […] Sauf lorsque le salarié a occupé un autre emploi durant la période d’éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi, il peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail ».

Des évolutions à venir ?

Cet arrêt du 1er décembre 2021 s’inscrit dans le cadre de la mise en conformité avec le droit européen. Pour mémoire, l’article L. 3141-5 du Code du travail énumère de façon limitative les périodes assimilées à du temps de travail effectif pour la détermination des droits à congés payés (congés maternité, paternité, contrepartie obligatoire sous forme de repos, suspension du contrat pour accident du travail ou maladie professionnelle, etc.). Or, le juge européen vise les périodes de suspension du contrat de travail de façon beaucoup plus large.

La Cour de cassation avait ainsi jugé en 2012 que les arrêts de travail consécutifs à des accidents de trajet – non visés par le législateur – devaient dans la limite d’un an, être assimilés à du travail effectif pour le calcul des congés payés (Cass. soc., 3 juillet 2012, n°08-44.834, n° 1640 FP – P + B). En revanche, la Cour de cassation a toujours refusé d’étendre ce régime aux absences pour maladies non professionnelles, qui ne donnent pas droit à congés payés, sauf dispositions plus favorables prévues par les conventions collectives de branche (Cass. soc., 13 mars 2013, n°11-22.285, n° 466 FS – P + B).

Dès lors, cette décision augure-t-elle un changement majeur en la matière dans les mois à venir ?