Comment contester l’utilisation des heures de délégation ?

Dans un arrêt du 1er juin 2022, la Cour de cassation a jugé que le refus de l’employeur de payer les heures de délégation d’un représentant du personnel à l’échéance normale, en raison non pas de l’utilisation de ces heures mais de leur nombre, constitue un trouble manifestement illicite que le juge des référés peut toujours faire cesser, même en cas de contestation sérieuse.  Pour autant, ce refus ne justifie pas, à lui seul, le versement de dommages-intérêts au salarié.

En l’espèce, le salarié concerné était titulaire depuis plusieurs années d’un grand nombre de mandats (délégués syndical, représentant syndical au comité d’établissement, membre du CHSCT, conseiller prud’hommes et défenseur syndical) qui l’occupaient à plein temps.

A partir de 2018, l’employeur a considéré que les mandats ne couvraient plus la totalité de son temps de travail, c’est-à-dire que son crédit d’heure de délégation ne lui permettait pas de se consacrer à temps complet à ses fonctions représentatives. La décision a donc été prise de cesser de verser à ce salarié la partie du salaire correspondant au travail effectif qu’il aurait dû fournir.

Suite à cela, le salarié a saisi le juge des référés pour obtenir un rappel de salaire et des dommages-intérêts et a obtenu gain de cause devant les juges du fond.

En effet, le Code du travail prévoit que le temps passé en heures de délégation est de plein droit considéré comme temps de travail et payé à l’échéance normale, et que l’employeur qui entend contester l’utilisation faite de ces heures doit d’abord les payer, puis saisir le juge judiciaire (Articles L. 2315-10 et L. 2143-17 du Code du travail).

L’employeur a formé un pourvoi en cassation en faisant valoir que la formation de référés ne pouvait pas le condamner à des rappels de salaire car il justifiait d’une contestation sérieuse. Selon lui, l’obligation de paiement à l’échéance normale des heures de délégation prévue par le Code du travail ne s’appliquerait qu’en cas de contestation de l’utilisation faite par le salarié de ses heures. Or dans le cas d’espèce ce n’était pas l’utilisation qui était contestée mais le nombre d’heures.

La solution de la Cour de cassation permet deux enseignements :

  • Peu importe le motif de contestation, les retenues du salaire en rapport avec des heures de délégation constituent un trouble manifestement illicite justifiant la compétence du juge des référés

La Cour rejette l’argument principal de l’employeur en combinant les dispositions du Code du travail selon lesquelles le temps de délégation est de plein droit considéré comme du temps de travail et l’article R. 1455-6 qui permet au juge des référés, même en présence d’une contestation sérieuse, de prescrire des mesures de remise en état pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Ainsi, les retenues sur salaire directement effectuées par l’employeur en lien avec des heures de délégation constituent nécessairement un trouble manifestement illicite ouvrant droit pour le salarié à une action devant le juge des référés.

  • Le seul retard de paiement des heures ne justifie pas en soi l’octroi de dommages-intérêts

Toutefois, la Cour de cassation donne raison à l’employeur sur la question des dommages-intérêts au visa de l’article 1231-6 du Code civil.

Selon ce texte, le salarié ayant été victime d’un retard de paiement des heures de délégation ne peut obtenir des dommages-intérêts que si deux conditions sont réunies :

  • établir que la carence de l’employeur est le fruit de sa mauvaise foi ;
  • justifier d’un préjudice indépendant de ce retard et distincts de l’intérêt moratoire (qui répare déjà le préjudice lié au retard).

L’arrêt confirme une fois de plus l’abandon du principe du « préjudice nécessaire » et particulier une ancienne décision dans laquelle la Cour de cassation avait jugé que le refus persistant d’un employeur de payer des heures de délégation était nécessairement fautif et justifiait l’octroi de dommages-intérêts (Cass. soc., 18 juin 1997, n°94-43.415).

Cass. soc., 1er juin 2022, n°20-16.836 FS-B